Quelle place pour le stationnement à Bordeaux au-delà de la partie Bordeaux-Unesco ?
- Patrick POINT
- 31 janv. 2018
- 6 min de lecture
L’objectif affiché de faire régresser la place de l’automobile en ville est louable et il faut s’y attacher pour réduire la pollution et les encombrements. Une stratégie efficace en la matière passe par la combinaison de divers moyens. On pense bien sûr aux parkings publics, aux transports en commun, aux circulations douces cyclistes, mais aussi pédestres. Il faudrait également s’interroger sur la maîtrise du rythme de l’urbanisation.
La municipalité bordelaise met l’accent sur un autre moyen d’action : le rationnement du stationnement sur la voie publique. Si les actions en matière de rythme d’urbanisation et de développement des infrastructures ont des effets à moyen et long terme, la régulation physique et monétaire du stationnement a des impacts à très court terme.
Compte tenu des effets massifs et très immédiats de ces mesures, il serait prudent de se rapprocher des citoyens pour en discuter les modalités d’application. Ce ne semble pas être le souci de la Mairie.
L’extension du stationnement payant est un processus auto-entretenu.
Le programme de Monsieur Juppé aux élections municipales de 2014 prévoyait l’extension du stationnement résidentiel dans la zone intra-boulevards à l’horizon 2020. Aujourd’hui, il est question de le déployer à l’ouest des boulevards en conservant les modalités d’application de la zone verte intra-boulevards.
Une question surgit, pourquoi aller au-delà du programme de 2014 ? Est-ce à cause des vertus du dispositif ? Il n’y a ici pas de réponse claire. Aucune étude n’est venue le confirmer. On a surtout déplacé le problème, les automobilistes se reportant sur les zones non payantes.
On voit ainsi dans la journée, de nombreuses places non occupées en zone verte, ce qui n’est pas nécessairement souhaitable. On maintient des places libres dans les zones payantes au détriment des zones qui ne le sont pas. Cela génère mécaniquement des protestations des riverains, victimes du report de stationnement dans leurs rues. La Mairie vient alors à leur secours en élargissant le périmètre du stationnement payant et… déplaçant le problème un peu plus loin.
Peut-on appliquer le même dispositif à des réalités différentes ?
L’extension du périmètre se traduit par des réalités sociologiques et urbaines différentes. L’espace bordelais n’est pas homogène. On sait qu’appliquer une règle uniforme à des situations très différentes conduit à de la sous-optimalité économique et à des inégalités sociales. C’est pourtant le choix que semble avoir adopté la Mairie avec l’extension de la zone verte au-delà des boulevards.
La Mairie de Talence dont le tissus urbain est structurellement et sociologiquement très proche de l’ouest des boulevards, a opté pour des dispositions plus en rapport avec la réalité de ce type de territoire. Ainsi, ni la tarification, ni les modalités ne correspondent à ceux de la zone verte bordelaise.
Bordeaux intra-boulevards dispose de 26000 places de parkings publics. L’ouest des boulevards ne possède aucune place ! Le taux de motorisation varie de 0,4 à 1 dans l’intra-boulevard et de 1 à 1,42 au-delà des boulevards
La question du deuxième véhicule ne peut être traitée de la même façon, dans Bordeaux Unesco et au-delà des boulevards. C’est pourtant ce qu’entend faire la Mairie avec pour slogan « Vendez la deuxième voiture ».
Haro sur la voiture.
Croît-on que c’est par indiscipline et mauvais esprit que certains ménages sont équipés de 2 voitures ? Les coûts, du carburant, de l’assurance et de l’entretien sont là pour rationaliser les comportements. Faut-il à ces coûts rajouter, pour le deuxième véhicule, la double peine du stationnement rotatif ?
Ce sont, les limites des transports collectifs, les exigences des horaires de travail et la scolarité des enfants, qui conduisent certains ménages à détenir deux véhicules. Leur demander d’y renoncer instantanément, dans l’état actuel de la situation, n’a pas de sens car il n’y a pas d’alternative à court terme.
Il faut trouver des dispositifs incitatifs à action progressive pour permettre à chacun de pouvoir s’adapter au mieux. Le système proposé est à cet égard, beaucoup trop brutal.
Où sont les causes des difficultés de stationnement ?
La première est liée au rythme non maîtrisé de l’urbanisation et à l’imprévision dans la gestion des flux et du parc de véhicules. La croissance urbaine forcenée, engagée par nos élus, conduit à une ville en état de thrombose, dépassée en matière d’équipements collectifs et de transports en commun. L’objectif totémique du million d’habitants se paye au prix d’une dégradation de la qualité de vie des habitants. Le déséquilibre entre constructions et équipements se marque de multiples façons. La gestion du stationnement en est une des facettes du problème.
Le PLU comporte de curieuses dispositions qui amplifient les difficultés du stationnement de surface sur la voierie publique. En effet, pour les constructions de logements locatifs financés avec un prêt aidé de l’État, le nombre de places de stationnement exigé par logement est compris entre 0 et 1. Encore plus surprenant, dès lors que des logements se situent à moins de 500 m d’une gare ou d’une station de transport public guidé ou de transport collectif en site propre, et que la qualité de desserte le permet, le nombre de places de stationnement exigibles ne peut dépasser : 0,5 place par logement pour, la construction de logements financés avec un prêt aidé de l’Etat, d’établissements assurant l’hébergement des personnes âgées et de résidences universitaires, et 1 place par logement pour les autres catégories de logements.
Lorsque le pétitionnaire ne peut pas satisfaire aux obligations imposées en matière de places de stationnement, il peut être tenu quitte de ses obligations en justifiant de l'obtention d'une concession à long terme dans un parc public de stationnement existant. Autrement dit on peut construire sans créer de places et privatiser des places dans un parc public ce qui réduit bien sûr le potentiel de places disponibles.
Ces dispositions semblent orientées plus vers des facilités faites aux promoteurs que vers une gestion rationnelle du stationnement. Elles contribuent significativement à accroître les besoins en matière de stationnement sur la voie publique.
Ajoutons qu’à ces choix en matière de politique urbaine, s’adjoignent le manque de fiabilité et de régularité des transports en commun, un réseau encore incomplet, qui obligent une partie des usagers potentiels à détenir un véhicule personnel. Cela se traduit donc souvent par deux véhicules pour un ménage.
Réduit-on l’encombrement et la pollution avec le stationnement payant bordelais ?
Les phénomènes évoqués ci-dessus, contribuent à l’encombrement et à la pollution. Quel rôle joue ici le stationnement payant ?
Dès lors qu’il faut payer pour stationner dans la journée dans son quartier, il peut, à titre individuel, apparaître plus rationnel d’utiliser son véhicule pour se rendre à son travail en zone non réglementée. On accroît ainsi les émissions de gaz à effet de serre, le bruit et l’encombrement.
Une incitation financière pour la ville à taxer le stationnement
A côté de la régulation revendiquée par la Mairie, le volume de recettes collecté au titre du stationnement de surface sur la voirie s’est accru de façon spectaculaire, passant entre 2011 et 2016, de 3 millions d’euros à 6,7 millions d’euros, soit une hausse annuelle moyenne de 14% ! De l’aveu même des responsables, la marge nette est de 50%. La mise en œuvre du forfait post stationnement (30€ ou 35€ pour la 3ième heure) et la privatisation du contrôle, promettent de considérables rentrées.
Cette forme d’impôt supplémentaire devient une ressource dont la Mairie cherche à améliorer le rendement. Il est symptomatique de voir l’élu en charge du stationnement indiquer que la stratégie de contrôle s’appuiera sur l’observation des rendements obtenus dans chaque rue.
Une mise en œuvre sans considération suffisante des spécificités du commerce et de l’artisanat
Le tissus commercial diffus des quartiers à l’ouest des boulevards, n’a rien à voir avec celui de l’hyper centre. Retenir un stationnement payant dès la première minute est une incitation directe à se rendre dans les grandes surfaces de la périphérie, où l’on peut tranquillement faire ses achats sans soucis d’horodateur. La Mairie évoque la présence d’arrêts minute, qui seront en petit nombre, difficiles à contrôler et peu intéressants car ne rapportant pas. Les commerçants ne sont pas convaincus et demandent une première tranche gratuite d’une heure trente par véhicule utilisable sur la journée.
Les salariés non-résidents ayant leur activité en zone de stationnement payant doivent pour certains d’entre eux utiliser leur véhicule personnel. Il est difficilement imaginable de les voir acquitter le prix du stationnement et déplacer toutes les 2 heures leur véhicule. L’absence de solutions proposées pour ces salariés, va les mettre en grande difficulté. Cela ne sera pas sans incidence non plus sur l’exercice et la pérennité même de l’activité commerciale et artisanale dans les quartiers.
Conclusion : Pour une troisième zone de réglementation du stationnement
Il ne faut pas écarter le principe du stationnement payant comme élément de rationalisation des comportements des usagers. Il convient, en revanche, d’en ajuster le tarif et les modalités aux réalités économiques, sociologiques et urbaines des quartiers concernés. Cette prise en considération pourrait se concrétiser dans la définition d’une troisième zone de réglementation du stationnement. Elle devrait résulter d’une véritable concertation engagée dans les quartiers autour, du stationnement résident, du stationnement professionnel, du stationnement rotatif, du stationnement long et de la tarification. Cela suppose en préalable une décision établissant un moratoire sur le projet actuel, pour ouvrir à des échanges sereins et constructifs.
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